04-Une pratique authentique du Dharma
Alors que nous venons d'avoir la grâce d'assister aux conseils donnés ce jour par Sa Sainteté Le Dalai Lama à l’occasion de la célébration du Saga Dawa, je suis heureux d’avoir cette opportunité de m'adresser à vous pour partager ce qui suit.
Tout d'abord, je tiens à remercier chacun d’entre vous pour la constance de votre engagement dans l'étude et la pratique du précieux Dharma et vous encourage à poursuivre une activité aussi noble que significative.
Le message convié par Sa Sainteté est clair : en tant que bodhisattvas, nous nous devons de pratiquer les enseignements du Bouddha : nous sommes appelés à engendrer l’esprit d’éveil ou Bodhicitta. Pour y arriver, il est indispensable pour chacun(e) d’entre nous d’acquérir la réalisation de la Vacuité.
1. Le point crucial pour ce faire est le suivant : invitez tous les Bouddhas ainsi que tous les êtres et prenez le temps de ressentir leur présence. Ce faisant, placez-vous sous les bénédictions de tous les Bouddhas et Bodhisattvas en prenant refuge. Faites ceci en ayant conscience de l'interdépendance avec tous les êtres sensibles. C’est le fondement du développement de la Bodhicitta.
2. Cette prise de conscience vous amènera à la réalisation de la Vacuité. Cette interdépendance est un fait bien réel ; toutefois, tant que nous sommes sous le pouvoir d'émotions conflictuelles, nous sommes loin de la ressentir voire de la réaliser.
3. Lorsque vous engendrez la Bodhicitta, ce qui arrive est, qu'elle est facilement anéantie par le flot des pensées. C’est ce qu’on appelle la distraction : votre esprit est distrait à la première occasion. La distraction de la Bodhicitta incite la prolifération des ‘émotions conflictuelles’. Ce n'est pas que l'esprit d’Éveil ne soit plus en vous, mais vous en êtes constamment distrait.
4. Cette constatation constitue un excellent point, car elle signifie que vous pouvez retrouver la Bodhicitta par le simple abandon de la distraction. Par l’entraînement régulier, vous pouvez peu à peu vous rendre compte que ce n'est pas quelque chose que vous devez inventer ou créer, ce n'est pas une idéologie que vous devez adopter, ni même une simple idée qu’il faut vous mettre en tête : c'est une des qualités primordiales de la nature de votre esprit.
La compassion incessante, issue de la clarté induite par la vacuité est loin d’être le fruit de la pensée conceptuelle.
5. Nous recherchons tous le bonheur pour nous-mêmes ; au point que nous sommes devenus maîtres en la matière. Si nous réalisons l'interdépendance par le biais de la méditation, alors nous aurons spontanément de la compassion et notre désir inné d'atteindre un bonheur durable se transforme en une quête non égocentrique visant tous les êtres. Il s'agit alors de la Bodhicitta Ultime qui est un état d’esprit non-conceptuel.
6. Un autre point crucial rappelé par Sa Sainteté, est que, pour réaliser la Vacuité, nous devons étudier le Dharma ; c’est-à-dire les Enseignements du Bouddha. Sa Sainteté exemplifia ceci en citant de mémoire plusieurs textes sacrés qu’il invite à étudier.
Sans ce type d’approche par l’étude, comment pouvons-nous pratiquer ?
Ainsi que mentionné par Sa Sainteté, trois textes principaux servent à l'étude de la Bodhicitta :
1. Shantideva était un moine bouddhiste vivant à l'université monastique de Nalanda au 8ème siècle. Il était particulièrement instruit sur les principes philosophiques de Nagarjuna sur Madhyamaka. Plutôt non conformiste, il était souvent absent aux séances de prière et aux débats, ce qui lui valut une piètre réputation. De ce fait, il fut un jour mis au défi de prononcer un discours devant l'assemblée monastique ; c'est alors qu'il enseigna le Bodhisattvacharyavatara.
Le sujet en est la Bodhicitta. Chapitres après chapitres, Shantideva élucide les bienfaits de la Bodhicitta, comment l’engendrer, comment l’accroître par la maîtrise de la pratique des paramitas.
Ces différents niveaux de maîtrise sont nécessaires pour ne pas la perdre afin de palier au fait que, une fois que nous l'avons engendrée, nous en sommes facilement distraits. Cela se produit lorsque nous accordons tant d'intérêt à tout ce que nous voyons, entendons, à tout ce qui est perçu par nos consciences sensorielles.
2. Le Madhaymakavatara, de Chandrakirti, est un commentaire sur la Voie du Milieu, entre nihilisme et éternalisme; entre la vérité relative et la vérité ultime, entre la solidification ou la saisie; le rejet ou l'ignorance de ce que nous percevons. Nous devons être conscients de ce qui se passe à chaque instant de notre vie quotidienne ; nous n'avons pas besoin de saisir ces perceptions, mais nous n'avons pas non plus besoin de les ignorer.
Ce texte, le Madhyamakavatara, est un texte indispensable largement étudié dans les écoles bouddhistes tant philosophiques que méditatives. La méthode présentée par Chandrakirti pour établir la vue (vision) dans cet ouvrage est l'une des plus vénérées à travers les âges. Il est important que tout pratiquant sérieux prête attention à l'étude de la vision et à la manière dont elle doit être établie.
3. The AbhiSamayaLamkara révélé par Maitreya à Asanga. Ce Sutra Mahayana est une base pour obtenir une réalisation claire des vérités relatives et ultimes.
Le titre complet du texte est l’Abhisamayālaṅkāranāmaprajñāpāramitopadeśaśāstra
Ce qui signifie :
- abhisamaya - མངོན་པར་རྟོགས་པ།- Réalisation
- alaṅkāra - རྒྱན།- Ornement ;
- nāma - ཞེས་བྱ་བ།- Connu comme ;
- prajñāpāramitā - ཤེས་རབ་ཀྱི་ཕ་རོལ་ཏུ་ཕྱིན་བ།- Perfection de la Sagesse ;
- upadeśa - མན་ངག།- Instructions essentielles ;
- śāstra - བསྟན་ཅོས།- Traité.
Un autre point pragmatique avancé par Sa Sainteté est que, s'il y a au moins un jour pour pratiquer un aperçu de l'esprit d'Éveil, c'est aujourd'hui, le jour de la célébration de la Saga Dawa. En effet, alors que le mérite est déjà extraordinaire car c'est le jour où nous célébrons l'occurrence de la naissance, de l'Éveil et du parinirvana du Seigneur Bouddha Sakyamuni, c'est également, aujourd'hui, un jour d'éclipse solaire et donc, le mérite est à nouveau multiplié par 100'000.
Il ne s’agit pas de spéculer, mais il faut savoir que, quoi que vous fassiez aujourd'hui a une grande importance. C'est certainement une journée où la prudence et l’attention sont de mises. Pour ceux qui le souhaitent, c’est aussi un jour idéal pour prendre les vœux de So-Jong; c'est le moment de faire des efforts pour s'abstenir d'alimentation non végétarienne, si on ne le fait pas d’ores et déjà.
Bien sûr, s’il est bon de pratiquer le végétarisme, en ne le faisant pas, vous manquez simplement une occasion importante de faire quelque chose de bien, c'est tout ! Il n'est pas nécessaire de développer une sorte d'esprit de flagellation. Se livrer à des pensées négatives est un autre karma négatif que l'on doit s'abstenir de créer ; par tous les moyens, ne générez pas un état d'esprit négatif.
À propos des prières récitées par Sa Sainteté et ses moines, vous pouvez trouver des prières similaires dans le livre du Kagyüd Monlam. Même si les versions récitées par Sa Sainteté étaient celles de la tradition Gelugpatransmises par Tsongkhapa, le sens est le même.
Ainsi, par exemple, vous trouverez le "Souvenir des Trois Joyaux", la "Branche d'invitation" (des Bouddhas, des Bodhisattvas, etc.); la "Prière à Sept Branches", la "Branche des Confessions", la "Branche du Développement de la Bodhicitta", "la Prière pour que le Dharma s'épanouisse", etc.
De plus, aujourd'hui, il est bon dans vos pratiques personnelles d'évoquer le Bouddha Sakyamuni en le louant et en récitant son mantra : | TADHYATHA OM MUNE MUNE MAHA MUNA-YE SVAHA||
Concernant la Bodhicitta, il est également excellent de réciter les 37 Pratiques d'un Bodhisattva composé par Gyalsray Thogmed. Ce sont la quintessence de tous les enseignements sur la Bodhicitta et un excellent guide quant aux attitudes à adopter dans les différentes situations qui surviennent dans votre vie quotidienne.
De même, alors que nous réciterons la louange des Douze Actes, ceci s'adresse non seulement au Bouddha Shakyamuni mais également aux 1000 Bouddhas du Mahabhadra Kalpa, qui tous accomplissent ces actes et donc atteignent l’Éveil à Bodhgaya, commencent à enseigner à Varanasi, etc.
Pour comprendre et réaliser la relativité et donc la limitation des concepts d'espace et de temps et donc limités, il nous faut passer par la méditation, et non par la pensée, dont l'approche est insuffisante. Seule la méditation nous amènera à réaliser que chacun de ces Bouddhas est intemporel et se manifeste dans d'innombrables domaines d'existence.
En conclusion, lors de vos pratiques, ce dont il faut vous rappeler se résume comme suit:
1. Ressentez la présence des Bouddhas et des Bodhisattvas autant que vous le pouvez, faute de quoi cela signifie que vous êtes distrait, car les Bouddhas et les Bodhisattvas demeurent constamment, ce ne sont pas eux qui disparaissent, mais vous qui perdez conscience de leur présence ;
2. En cette présence, prenez Refuge et développez la Bodhicitta, en vous souvenant que vous êtes entouré de tous les êtres ;
3. Faites-en sorte d'étudier les précieux enseignements du Bouddha, réciter en tibétain les 37 Pratiques est excellent ; cela dit, contempler le sens de ces mots dans votre langue est judicieux et bénéfique.
4. Ensuite, pratiquez également la méditation Shinay, la base de la réalisation de la vacuité. Pratiquez la méditation sur la respiration et le calme mental. Prenez un peu de temps pour ça.
À la fin de la pratique, il est bon de réciter le mantra Dorje Sempa, en appliquant les quatre forces de la purification :
1) Dévoilez vos fautes,
2) Alors que certains méfaits vous viennent à l'esprit, ayez l'humilité de les reconnaître comme tels. Ne vous engagez pas dans la tromperie ou la déception ;
3) Engagez-vous à ne plus commettre de tels actes non-vertueux ;
4) Appliquer l'antidote : récitez le mantra Dorje Sempa, ou mieux encore, réengendrez la Bodhicitta.
L'antidote le plus puissant est de rétablir la pureté ultime de soi (rang-tong) et des phénomènes (shän-tong).
par Lama Gelong Sangyay Tendzin | Saga Dawa 2020