Karmapa II - Karma Pakshi
LE IIème KARMAPA
(1204 - 1283)
Karma Pakshi, naquit en 1206 de notre ère dans une famille dont la lignée remonte jusqu’au roi du dharma du VIIIe siècle, Trisong Detsen. Ses parents, de fervents pratiquants religieux, nommèrent leur fils Chödzin.
Chödzin était un enfant précoce et à peine âgé de six ans, il maîtrisait déjà parfaitement la lecture et l’écriture. Dès l'âge de dix ans, il avait compris l'essence de la doctrine bouddhiste. En plus de sa capacité intellectuelle, Chödzin possédait également une aptitude intuitive à laisser son esprit reposer dans le calme. Grâce à cette facilité naturelle, lorsque son maître de méditation, Pomdrakpa, lui fit découvrir la nature de son propre esprit, il fut capable de développer spontanément une grande clairvoyance.
Pomdrakpa avait lui-même reçu les enseignements de la lignée Karma Kagyu de Drogön Rechen, l'héritier de la transmission de Dusum Khyenpa.
Lorsqu'il accorda pour la première fois une initiation à Chödzin, il lui expliqua que dans une vision, il avait vu Dusum Khyenpa et d'autres enseignants de la lignée entourant la résidence de son jeune élève, illustrant l'importance de ce dernier.
Dans une vision ultérieure, Dusum Khyenpa révéla à Pomdrakpa que Chödzin était en fait son incarnation. Pomdrakpa reconnut alors officiellement Chödzin comme le deuxième Karmapa, l’ordonna moine novice et lui conféra le titre de Maître du Dharma (Tib : ཆོས་ཀྱི་བླ་མ།).
Pendant onze ans, Karma Pakshi étudia avec Pomdrakpa, se spécialisant dans les enseignements mahāmudrā de Saraha et de Gampopa. Grâce à ses capacités naturelles, il était capable de mémoriser les enseignements immédiatement au fur et à mesure qu’il les recevait. À la fin de cette période d'études, Pomdrakpa décida que le jeune Tulku avait suffisamment développé sa compréhension et que pour pouvoir plus tard enseigner il devait également recevoir d’une lignée les initiations, les lectures rituelles et les instructions venant de Sākyamuni ou de Vajradhara. Il transmit donc à Karma Pakshi la série complète des enseignements de la lignée Kagyu, et devint ainsi son père spirituel. Lorsque Karma Pakshi reçut l’initiation de Mahākāla, il fit l'expérience directe de la présence du dharmapāla.
À l'âge de vingt-deux ans, Karma Pakshi fut ordonné moine par Lama Jampa Bum, abbé du monastère Katok Nyingmapa, établi par Kadampa Desheg, disciple du premier Karmapa. Dans sa pratique spirituelle à cette époque, Karma Pakshi était focalisé sur le «yoga de la chaleur intérieure» et sur la pratique du mahāmudrā, développant simultanément les aspects formels et informels de la pratique tantrique.
C'était une période de troubles civils au Kham et Karma Pakshi répondit aux besoins de la population en visitant la région avec l’intention d’y ramener la paix. À cette occasion toute la région avec ses champs, ses montagnes et ses vallées, lui apparut tel le mandala de Khorlo Demchog (Tib. Bde. Mchog). La présence dans cette vision de Mahāsukha Chakrasamvara entouré d'une ronde dansante de dākas et de dākinis présageait d'un fort potentiel en ce lieu pour la propagation du Dharma.
Plus tard, inspiré par une vision de Mahākāla à la cape noire (Tib : རྡོ་རྗེ་བེར་ནག་ཅན།) qui devint par la suite le principal protecteur de la lignée Karma Kagyu. Karma Pakshi construisit un nouveau monastère dans la région de Sharchok Pungri au Kham.
Dans une autre vision, le IIème Karmapa fut chargé par une dākini de répandre le mantra à six syllabes d'Avalokiteshvara, incarnation de la compassion éveillée.
Karma Pakshi et ses moines scandaient alors le mantra dans leurs voyages et c’est à partir de ce moment que le mantra à six syllabes devint si largement répandu dans la pratique religieuse populaire au Tibet.
Karma Pakshi passa onze ans dans son nouveau monastère, engagé dans la pratique intensive de la méditation. La renommée de sa puissance spirituelle atteignit la région du ‘Jang’ et la Chine. Sa maîtrise de l'énergie des quatre éléments était telle que Karma Pakshi pacifiait son environnement. Cela fut confirmé par l'engagement symbolique de la divinité de la montagne, Dorje Paltseg, à protéger la lignée Karma Kagyu.
Par la suite, Karma Pakshi s’engagea dans la restauration de monastères, d’abord celui de Karma Gon, qui était tombé en ruine, et puis, inspiré par Mahākāli, celui de Tsurphu où les travaux étaient si importants qu’il dût s’endetter.
Ce n’est que six ans plus tard que Karmapa pu s’acquitter de cette dette grâce au don d’un riche mécène rencontré lors d’un voyage dans la région de ‘Tsang’ à l'ouest du Tibet.
En 1251, Karma Pakshi reçut une invitation du prince mongol Kublaï qui régnait à l'époque sur les régions frontalières sino-tibétaines. En réponse, Karma Pakshi se rendit au palais Wu-tok, où il arriva en 1254, après avoir été accueilli en chemin par une grande armée à Serta. Karma Pakshi était conscient de l'importance de sa visite pour l'avenir des enseignements Kagyupa et eut de nombreuses expériences visionnaires qui le lui montrèrent après son arrivée à la cour. Il fut honoré par Kublaï Khan, qui lui demanda de montrer son pouvoir spirituel aux autres enseignants religieux. Karma Pakshi accéda à cette demande et tout en se conduisant avec une telle courtoisie que tous reconnurent sa grandeur.
Impressionné, le khan lui demanda de rester à sa cour en permanence, mais Karma Pakshi refusa, prévoyant un fort potentiel de troubles à venir à la cour du khan.
À cette époque, le reste de la Chine était sous le contrôle de Mongka Khan, un petit-fils de Gengis Khan, qui avait destitué son propre cousin, Godin, mais n’avait qu’un contrôle assez faible sur son jeune frère Kubilaï. Il avait demandé à l'école Sakyapa de diffuser ses enseignements à travers la Chine, tâche qui fut accomplie par Sakya Pandita (1182-1251) et son neveu, Phakpa (1235-1284).
Inspiré par Avalokiteshvara et Mahākāla, Karma Pakshi décida de voyager dans le nord du Tibet.
Malgré la colère de Kublaï Khan face à son refus de rester, il se rendit dans la région frontalière sino-tibétaine de Minyak. À son arrivée, le pays fut secoué par une tornade, que Karma Pakshi interpréta comme la manifestation de Mahākāla à la cape noire. Il eut également une vision de Vai'ravaqa, protecteur des richesses, qui lui demanda de rester à Minyak afin d'y construire un nouveau temple.
En 1256, Karma Pakshi atteignit Amdo dans le nord-est du Tibet, où il apprit que Mongka Khan avait pris le pouvoir sur son frère cadet, Kublaï, et était maintenant le souverain suprême de la Mongolie et d'une grande partie de la Chine.
Mongka Khan était tout aussi curieux du Dharma que son frère et invita Karmapa à retourner en Chine pour enseigner. L'invitation fut acceptée et Karma Pakshi retourna lentement en Chine, traversant à nouveau la région de Minyak. Dans une expérience visionnaire, il fut inspiré par Tārā rouge de se rendre au palais de Mongka Khan à Liang Chou. À cette époque, l'importance considérable de l'activité de Karma Pakshi était devenue très claire. En chemin vers la cour de Mongka Khan, il éliminait déséquilibres environnementaux et sociaux par son activité compassionnée.
Karma Pakshi arriva à la cour au début de l'hiver. Le khan marqua son arrivée en libérant des prisonniers en son honneur et Karma Pakshi manifesta la compassion éveillée d'Avalokiteshvara en conférant de nombreuses initiations, lectures rituelles et instructions.
Le khan devint son disciple dévoué et Karma Pakshi lui révéla qu'il avait en fait étudié avec le premier Karmapa, Dusum Khyenpa, dans sa vie antérieure, et avait atteint la même réalisation du mahāmudrā que Karma Pakshi lui-même. Afin de manifester la supériorité des moyens habiles du Dharma, Karma Pakshi invita de nombreux maîtres taoïstes jaloux tels que Shen Shing, Tao Shi et Er Kao pour le rejoindre dans un débat. Cependant, nul ne put égaler le Karmapa et ils acceptèrent tous son enseignement.
Au palais d'Alaka, Karma Pakshi initia le khan et ses autres disciples dans la pratique spirituelle de Chakrasamvara. Mongka Khan pratiqua son instruction si précisément qu'il devint capable de visualiser le yidam dans les moindres détails. Plus tard, grâce au pouvoir de méditation de Karma Pakshi, une vision de Saraha et des quatre-vingt-quatre autres saints tantriques se manifesta dans le ciel pendant trois jours. La puissance de son enseignement prit le dessus sur les préoccupations d’ordre politique du khan, lui permettant de développer une réalisation intuitive du mahāmudrā.
L'influence de Karma Pakshi s'étendit bien au-delà de la cour royale et eut un effet profond sur la culture sino-mongole, poursuivant ainsi le processus entamé par Sakya Pandita. À titre d'exemple, Karma Pakshi conseilla à tous les bouddhistes mongols d'éviter de manger de la viande les jours de phases de la lune. De même, les non-bouddhistes furent invités à garder leurs propres préceptes religieux ces jours-là. Les dix vertus énoncées par le Bouddha Sakyamuni furent soulignées comme la base de la morale individuelle et sociale. Le travail de Karma Pakshi pour le bien-être du peuple était très étendu. Par exemple, à treize reprises, des groupes de prisonniers furent libérés à sa demande.
Malgré son prestige personnel, Karma Pakshi ne chercha pas à promouvoir la lignée Karma Kagyu au détriment des autres traditions bouddhistes, mais exhortait le khan à les soutenir également. Par la suite, le khan invita son guru à l'accompagner lors d'une visite de son empire. À Karakorum, la capitale mongole, Karma Pakshi put entamer un dialogue amical avec les représentants d'autres traditions religieuses. Le groupe se rendit dans les régions frontalières sino-mongoles, puis à Minyak où, inspiré par la mémoire de Dusum Khyenpa, Karma Pakshi décida de retourner au Tibet. Mongka Khan souhaitait que son guru l'accompagne en Mandchourie, mais Karma Pakshi refusa, soulignant la nature impermanente de toutes les situations. Le khan ne tenta pas de le retenir et au contraire lui accorda un sauf-conduit permettant de traverser tous les territoires mongols.
L'année du Tigre de fer, alors que Karma Pakshi retournait au Tibet, des troubles éclatèrent en Chine à la mort de Mongka Khan. Au début, Alapaga lui-même, le fils du défunt khan, établit son règne malgré le fait que certains chefs mongols soutenaient la revendication rivale de son oncle, Kublaï Khan.
Bientôt, cependant, Kublaï Khan put prendre le contrôle et Alapaga fut tué, selon des rumeurs par le pouvoir magique d'un élève de Lama Zhang de la lignée Tsalpa Kagyu.
A cette époque, Karma Pakshi, dont le voyage avait été retardé par la guerre locale, s'inspira d'une vision pour construire une grande statue du Bouddha, à son retour au Tibet. Cependant, il était parfaitement conscient des difficultés qui seraient rencontrées lors de la réalisation d'un tel projet.
Le chemin à travers ces obstacles lui fut révélé dans le rêve d’un cheval blanc, qui le sauva d’un danger. Il composa une chanson pour célébrer cela dans laquelle il déclara:
"Ce cheval suprême est comme un oiseau d'or. Je suis moi-même l'homme suprême, tout comme Siddhārtha Gautama. Par conséquent, nous traverserons ces temps dangereux." Karma Pakshi apprit que Kublaï Khan, encouragé par les intrigants de la cour, gardait une forte rancœur à son égard. En effet, le khan estimait qu'il avait été méprisé par Karma Pakshi et pensait que ce dernier avait comploté contre lui avec son frère rival, Mongka Khan. Il décida d'ordonner son assassinat.
Les soldats du nouveau khan arrêtèrent Karma Pakshi et tentèrent de le tuer en le soumettant aux pires tortures : bûcher, empoisonnements, chute du haut d'une falaise, mais même face à ce traitement brutal, Karmapa manifesta les qualités d’Avalokiteshvara et la liberté naturelle d'un mahāsiddha.
La réalisation de Karma Pakshi de la nature non-née et immortelle de l'esprit était telle que ses ravisseurs étaient incapables de lui faire du mal. Finalement, il exprima sa grande pitié pour leur confusion.
Le khan poursuivit ses tentatives en envoyant Karma Pakshi en exil dans une zone désertique proche de l'océan où se trouvaient peu de gens pour recevoir le dharma. Karma Pakshi mit à profit ce temps pour composer des textes et se remettre lentement.
Finalement, ces événements forcèrent Kublaï Khan à reconsidérer son attitude envers Karma Pakshi, il céda et s’excusa, demandant à nouveau à Karma Pakshi de rester auprès de lui. Lorsque Karma Pakshi répondit qu'il devait retourner au Tibet, le khan lui permit de partir en disant: "S'il vous plaît, souvenez-vous de moi, priez pour moi et bénissez-moi. Vous êtes libre d'aller enseigner le Dharma où vous le souhaitez."
Karma Pakshi revint à Tsurphu après un long voyage et s’engagea dans la tâche de faire construire la statue de Bouddha. La statue en bronze coulé, nommée "Grand sage, ornement du monde" mesurait cinquante-cinq pieds de haut et contenait des reliques du Bouddha lui-même et de ses disciples. Une fois terminée, on constata qu’elle était malencontreusement inclinée d'un côté. Karma Pakshi s’assit en méditation inclinant son corps de la même manière puis, doucement il se redressa; alors qu'il se redressait, tous purent voir la statue se redresser elle aussi.
Avant sa mort en 1283, le Karmapa transmit sa lignée à son disciple de cœur, Urgyenpa. Il l’informa que sa prochaine incarnation proviendrait du Tibet occidental.
Karma Pakshi était à la fois un saint tantrique, ou Mahasiddha et un grand érudit. L'énergie de ses enseignements inspira de nombreuses personnes à parcourir le chemin spirituel. En plus d'Urgyenpa, ses autres disciples célèbres étaient Maja Jangchub Tsöndru, Nyenre Gendün Bum et Mongka Khan.
Traduit du Recueil des Hayographies des Seize Vies du Karmapa rédigé par Le Très Vénérable Karma Trinley Rinpoché